La PESTE de 1720 EN PROVENCE

En cette année du tricentenaire de la Peste de 1720, il faut tout d'abord noter que ce ne fut pas la première, ni la dernière, ni la plus importante épidémie qu'a connu notre pays.
 
Mais si dans son histoire, Marseille a été touchée plusieurs fois par la peste, l’épidémie de 1720 est celle qui aura laissé le plus de traces.
40 000 Marseillais vont mourrir de la maladie, soit la moitié de la population de l’époque... 

Pendant très longtemps, la responsabilité de l’épidémie sera octroyée au Grand-Saint-Antoine, un navire en provenance de Syrie.
Mais une étude récente contredit cette hypothèse... 

1720, un épisode de peste plutôt mineur ?

La notoriété de la peste de 1720 tient plus à des raisons de sources qu’à sa gravité car elle est bien documentée par les historiens.
C’est un épisode tardif de la seconde pandémie de peste qui toucha l’Europe, mais c’est une épidémie de peste parmi d’autres, comme il y en a eu beaucoup depuis l’Antiquité...
 
Ses 100 000 victimes en Provence pèsent peu face à d’autres épisodes bien plus funestes comme :
  La peste de Justinien et sa vingtaine de poussées entre 541 et 767 (qui ont coûté la vie, selon les témoignages d’époque, à un tiers de la population européenne) ;
  La peste noire, qui a décimé la moitié du continent en 1347-1352 (environ 25 millions de victimes);
  La peste de Chine, apparue vers 1855 dans la province de Yunnan et active jusque dans les années 1940 (plusieurs dizaines de millions de victimes estimées).
 
Même au niveau régional, il ne s’agit pas d’une première...
Les textes se focalisent sur Marseille, qui effectivement a été touchée car il s’agissait d’un grand port avec une grande densité.
Mais la ville avait alors déjà subi au moins neuf épidémies entre Jules César et le XVIIème siècle, en raison des forts échanges commerciaux... 

Au Moyen Âge les foyers de peste endémique se situaient aux échelles du Levant.
Du XIVème siècle, avec la peste noire, au XVIIIème siècle, avec la Grande Peste, cette pandémie tua entre 60 et 90 % des malades.
Il y eut environ une grande épidémie de peste par siècle...  

Nombre d’années pestiférées en Provence du XIVème au XVIIIème siècle

AnnéesNombre d'épidémiesRythme
1348-1450301 année sur 3
1451-1550431 trimestre sur 9
1551-1650291 année sur 3
1651-17204

Par un arrêté du 10 janvier 1622, le Parlement de Provence décida de limiter aux seuls ports de Marseille et de Toulon l’accès des navires venus directement des pays levantins.
Cet exemple fut suivi par la république de Gênes, en 1661.  

Cette décision avait pour corollaire la mise en quarantaine dans une annexe du port des bâtiments suspects, d’où la création de lazarets :
 
"La Cour ordonne que tous patrons et mariniers conduizants vaisseaux et barques venant des parties du Levant ou Barbarie et Midy prendront port et feront des contes ès villes et ports de Marseille ou Thollon respectivement où ils feront voir leurs patentes de santé ou faict inhibition et deffences aux dits patrons et mariniers de descendre ny prendre port en autre port ny décharger aucuns mariniers ny marchandises en autres ports de la dite province à peine de la vie et dix mil livres d’amende."
 
Les premières mesures prophylactiques, furent prises, à Marseille lors de la peste de 1476, sous le règne du roi René.
Le premier lazaret marseillais, créé en 1557, fut construit au sud de la ville au port Saint-Lambert.
Mais ce fut le lazaret de Livourne, en 1590, qui fut le premier à être placé sous le patronage de saint Roch. 

Les Vieilles infirmeries de Marseille, édifiées en 1631 et sises aux Catalans, laissèrent la place aux Nouvelles infirmeries, construites entre 1663 et 1668 à Saint-Marcel d’Arenc.
Un an plus tard, en mars 1669, Jean-Baptiste Colbert accordera à Marseille le monopole du commerce avec le Levant. 


Vue du Cours pendant le peste de 1720
tableau de Michel Serre, Musée des Beaux-Arts de Marseille

Marseille à la veille de l’épidémie

Situation économique

Malgré les difficultés financières de la ville de Marseille, fortement endettée depuis la fin du XVIIème siècle, le commerce marseillais est en plein essor après une crise passagère consécutive au traité de Rastadt (1714) mettant fin à la guerre de Succession d'Espagne.
 
La valeur des produits du Levant apportés dans le port de Marseille en 1714 s'élève à vingt-trois millions de livres, somme jamais atteinte précédemment.
C'est à ce moment où s'amorcent des conditions de vie meilleures et un essor économique auxquels un coup d’arrêt brutal est donné par l'apparition de la peste. 

Urbanisme de la ville

Marseille est depuis quelques années ceinturée par un rempart construit sur ordre de Louis XIV par Nicolas Arnoul.
Cette nouvelle enceinte prend appui sur chacune des deux puissantes forteresses placées de part et d'autre de l'entrée du port : fort Saint-Jean (XIIème siècle) au nord et fort Saint-Nicolas (1660-1664) au sud.
Les anciens remparts du Moyen Âge ont été démolis et la superficie de la ville intra-muros est triplée, passant de 65 à 195 hectares.
Dans les espaces intérieurs ainsi conquis sont construites des voies nouvelles se coupant perpendiculairement. 

Il va en résulter deux types d'urbanisation qui ne seront pas sans influence sur le développement et la propagation de la peste qui apparut d'abord dans les vieux quartiers.
Au nord du port est située la ville ancienne qui correspond à celle du Moyen Âge avec des rues étroites, tortueuses et insalubres où se trouvent artisans et commerçants.
C'est dans cette zone que la peste apparaît et atteindra son paroxysme...
À l'est et au sud se développe la ville nouvelle avec ses nouvelles voies rectilignes : rue de Rome, rue Paradis, rue Saint-Ferréol.
 

Réglementation sanitaire

La peste constitue depuis longtemps une menace permanente pour Marseille en liaison fréquente avec le Proche-Orient où cette maladie est endémique.
Comme on l'a vu précédemment, des épidémies frappent la ville à de nombreuses reprises, notamment en 1580 où la peste a été très meurtrière et a fait proportionnellement autant de morts sinon davantage que celle de 1720...
Un système s'est donc progressivement mis en place et a montré jusqu'alors son efficacité puisqu’en 1720 Marseille n'a plus connu d'épidémie depuis soixante ans.
 
Cette protection repose d'une part sur un cordon sanitaire mis en place à l'échelle méditerranéenne avec délivrance de patentes dans les ports du Levant et d'autre part sur un bureau de santé composé d’intendants qui décident de la durée de la mise en quarantaine pour l'équipage, les passagers et les marchandises.
 

Les patentes

Chaque navire faisant escale dans un port du Levant était tenu de se faire délivrer une patente.
Ce certificat délivré par les consuls des ports orientaux aux capitaines des vaisseaux souhaitant rentrer en France, précisait l'état sanitaire de la ville d'escale.
 
On distingue alors trois types de patentes :
  la patente nette lorsque rien de suspect n'existe dans la région au moment du départ du vaisseau ;
  la patente suspecte lorsque règne dans le pays une maladie soupçonnée pestilentielle ;
  la patente brute lorsque la région est contaminée par la peste.
 
En cas de patente nette la durée de la quarantaine est ordinairement de dix-huit jours pour les personnes, vingt-huit pour le navire et trente-huit pour la cargaison.
Ces périodes sont portées respectivement à vingt-cinq, trente et quarante si la patente est suspecte et trente-cinq, cinquante et soixante si la patente est brute...
 

Le bureau de santé

Un bureau de santé est créé à Marseille.
Sa date de création exacte est inconnue mais forcément avant 1622 car un texte émanant du parlement de Provence daté de cette année fait référence à cet établissement.
 
Ce bureau, renouvelé chaque année par le conseil de ville, est composé de quatorze intendants bénévoles choisis parmi les négociants, marchands et anciens capitaines de vaisseau.
La présidence sera assurée à tour de rôle chaque semaine par l'un des intendants qui prend alors le nom d'intendant semainier. 


Bureau de santé sur le Vieux-Port
Construit en 1719.
De plus, afin d'assurer une bonne coordination entre le conseil municipal et le bureau de santé,
les deux échevins sortant de leur charge sont de droit intendants du bureau de santé,ce qui portera le nombre total de ses membres à seize.  

Ils sont assistés dans leur tâche par un personnel nombreux : secrétaires, commis, etc.
Un médecin et un chirurgien sont attachés à cet établissement.

Le siège du bureau de santé se trouve d'abord sur un ponton flottant basé près du fort Saint-Jean, puis à la consigne sanitaire,
bâtiment construit à partir de 1719 sur les plans d'Antoine Mazin au pied du fort Saint-Jean. 
Ce bâtiment toujours existant a été classé monument historique en 1949.

Les démarches sont strictes : le capitaine d'un vaisseau en provenance du Levant laisse son navire à l'île de Pomègues et se rend en barque au bureau de santé pour présenter la patente qui lui a été délivrée et selon le type de celle-ci, le bureau de santé décide de la durée de la quarantaine à appliquer aux marchandises et aux personnes.
 

Les lieux de quarantaine

Les lieux de quarantaine des vaisseaux ont été établis à l'île Jarre, au sud de la rade de Marseille, si la peste est avérée, ou à l’île de Pomègues où cinq hectares de terrains et de bâtiments ainsi qu'un petit port ont été aménagés pour recevoir environ trente-cinq navires.
 
D'autre part, des infirmeries, parfois appelées lazarets car elles sont placées sous la protection de saint Lazare, ont été aménagées pour les passagers et les marchandises.
 
Ces infirmeries sont situées au bord de la mer, entre l'anse de la Joliette et celle d'Arenc, à 400 m environ au nord de l'enceinte de la ville.
Construites sous Colbert, elles sont constituées de hangars pour les marchandises et d'habitations pour les voyageurs, sur une emprise de 12 hectares, ceinturée de murailles et ne comportaient que trois points d'accès.
 
Carte de la rade de Marseille établie au XVIIème siècle, avec les îles de l'archipel du Frioul. 

L’arrivée du Grand-Saint-Antoine

Le 25 mai 1720, le Grand-Saint-Antoine, navire en provenance du Proche-Orient, arrive à Marseille.
Il apporte un précieux chargement d'étoffes de soie et de balles de coton, pour une valeur de 300 000 livres destinées à être vendues à la foire de Beaucaire de juillet.
 
Une partie de la cargaison appartient à plusieurs notables de Marseille, dont le premier échevin Jean-Baptiste Estelle et le capitaine du navire Jean-Baptiste Chataud.
Le bateau a été armé par Ghilhermy et Chaud, Jean-Baptiste Estelle, Antoine Bourguet et Jean-Baptiste Chataud, intéressés chacun pour un quart.
 

Périple et mortalité à bord

Le Grand-Saint-Antoine avait quitté Marseille le 22 juillet 1719 et a relié successivement Smyrne, Larnaca (Chypre), et Sidon (Liban).
Dans cette dernière ville, il embarque des tissus de soie et des sacs de cendre destinés au lest et afin d'absorber l'humidité des cales pour assurer une meilleure conservation des précieuses étoffes.
Cette cendre se vendait ensuite à Marseille aux savonneries qui l'incorporaient dans leurs fabrications.
 
Le consul Poullard, qui ignore que la peste sévit à Damas, délivre une patente nette alors que le chargement est probablement déjà contaminé...
Le navire arrive à Tyr où il complète sa cargaison par de nouvelles étoffes probablement elles aussi contaminées.
Le navire reprend la mer, mais doit faire escale à Tripoli du Liban pour remédier à des dégâts causés par une violente tempête.
Le vice-consul de Tripoli, Monhenoult, délivre également une patente nette...
 
Le 3 avril 1720, le navire se dirige vers Chypre après avoir embarqué quatorze passagers.
Le 5 avril un Turc meurt à bord et son cadavre est jeté à la mer...
Les passagers descendent à Chypre et le navire repart le 18 avril 1720 en direction de Marseille.  

En cours de route meurent successivement cinq personnes, dont le chirurgien de bord...

L'alerte est grave et le capitaine Chataud décide de s'arrêter alors dans la rade du Brusc, à proximité de Toulon.
Cette rade bien abritée par l'île des Embiez constitue un mouillage forain apprécié des navigateurs depuis l'Antiquité.  
  Il s'agit en effet de l'ancienne Tauroentum.
Les raisons de cette escale sont assez mystérieuses, mais certains historiens estiment que Chataud a voulu prendre l'avis des propriétaires de la cargaison pour fixer la conduite à tenir.
 
Le Grand-Saint-Antoine fait alors demi-tour pour gagner Livourne, où il arrive le 17 mai.
Les Italiens interdisent l'entrée du navire dans le port et le font mettre à l'ancre dans une crique gardée par des soldats. 
Cette précaution est d'autant plus judicieuse que le lendemain trois personnes décèdent à bord.
Les cadavres sont examinés par des médecins qui concluent à une "fièvre maligne pestilentielle"...
Ce terme ne doit pas prêter à confusion car pour les médecins de l'époque il ne désigne pas la peste ! 

Les autorités de Livourne mentionnent, au dos de la patente de Tripoli, qu'elles ont refusé l'entrée du navire dans le port à cause de la mortalité d'une partie de l'équipage en raison de cette fièvre.
 
Le navire retourne alors vers Marseille : il y a quand même eu depuis le départ de Tripoli neuf décès à bord !

La mise en quarantaine

À son arrivée, le capitaine Chataud se rend au bureau de santé faire sa déclaration à l'intendant semainier Tiran.
Il produit les patentes nettes et ne peut que l'informer des décès survenus durant la traversée... 

Le 27 mai, deux jours seulement après l’arrivée du navire, un matelot meurt à bord...
 
Le bureau de santé, à l'unanimité décide d'envoyer le bateau à l'île de Jarre, puis se ravise et dans une seconde délibération, décide de faire transférer le cadavre aux infirmeries pour examen et d'envoyer le navire à l'île de Pomègues, dans l'archipel du Frioul.
 
Le 29 mai ce même bureau décide, fait inhabituel, de faire débarquer aux infirmeries les marchandises de valeur tandis que les balles de coton doivent être transférées à l'île de Jarre...
 
Le 3 juin, le bureau revient sur sa position et prend une décision encore plus favorable aux propriétaires de la cargaison : toutes les marchandises seront débarquées aux infirmeries...
 
Si aucune preuve écrite n'existe, il est probable que des interventions ont eu lieu pour faire adopter la réglementation la moins contraignante.
Il est impossible de connaître les personnes qui sont réellement intervenues, mais l'intrication des intérêts des familles de négociants et des autorités qui dirigeaient la ville suffisent à comprendre les raisons de ces nombreuses négligences...
 
La déclaration du capitaine Chataud est falsifiée par addition d'un renvoi indiquant que les membres d'équipage décédés en mer sont morts de mauvais aliments !
Les intendants de santé ont probablement voulu sauver la cargaison destinée en partie à la foire de Beaucaire, qui devait avoir lieu le 22 juillet 1720.
 
Le 13 juin, veille du jour de sortie de quarantaine des passagers, le gardien de santé du vaisseau décède.
Le chirurgien de service du port, Gueirard, examine le cadavre et conclut à une mort par vieillesse, sans observer des marques de peste... 

Un mousse tombe malade et meurt le 25 juin.
À partir de ce jour plusieurs portefaix qui ont manipulé les ballots de coton succombent à leur tour...

Le bureau de santé s'inquiète très sérieusement et décide de transférer le vaisseau à l'île de Jarre, de faire brûler les hardes des personnes décédées et d’enterrer les cadavres dans de la chaux vive.
 
Mais ces mesures arrivent trop tard, car des tissus sortis en fraude des infirmeries ont déjà transmis la peste dans la ville...

L’épidémie de peste

Les premiers cas

Les dix décès survenus à bord du navire ne présentaient pas apparemment les symptômes caractéristiques de la peste que sont les charbons et les bubons.
Ces manifestations évidentes apparaîtront dans la ville lorsque commenceront à s'y répandre les tissus en provenance du Grand-Saint-Antoine infestés de puces porteuses du bacille de Yersin.
 
Le 20 juin 1720, rue Belle-Table, venelle étroite et sombre des vieux quartiers, une femme, Marie Dauplan, meurt en quelques heures...
 
À ce moment les médecins doutent que ce décès soit vraiment dû à la peste.
Il semble en effet qu'un premier foyer pesteux au sein de l’équipage ait été contenu jusqu’au déballage des balles de coton qui allaient répandre les puces porteuses de la maladie.
 
Le 28 juin, un tailleur, Michel Cresp, meurt subitement...
 
Le 1er juillet, deux femmes, Eygazière et Tanouse, demeurant rue de l'Échelle, autre quartier déshérité de la ville, meurent l'une d'un charbon (escarre surinfecté à l'endroit de la piqûre de puce, à ne pas confondre avec la maladie du charbon) sur le nez, l'autre avec des bubons, signes évidents de la peste.
 
À partir du 9 juillet il est évident que la peste est présente !
Ce jour-là Charles Peyssonnel et son fils Jean-André Peyssonnel, tous deux médecins, appelés au chevet d'un enfant d'une douzaine d'années rue Jean-Galland, diagnostiquent la peste et avertissent les échevins.
 
Les morts sont enterrés dans de la chaux vive et leurs maisons sont murées.
Les échevins espèrent toujours qu’il s’agit d’une contagion limitée.
La cargaison du navire est transférée des infirmeries à l'île de Jarre.  

À partir du 21 juillet le nombre de décès ne fait que croître ; le père Giraud peut écrire que "Dieu déclare la guerre à son peuple".
 

Propagation de la peste


A) Porte de la Joliette
B) Porte royale ou porte d'Aix
C) Porte Bernard du Bois
D) Porte des Chartreux ou des fainéants
E) Porte de Noailles
F) Porte d'Aubagne
G) Porte de Rome
H) Porte de Paradis
I) Porte Notre Dame de la Garde
J) Porte de Saint Victor
K) Arsenal des galères
L) Estacade isolant les galères
M) Abbaye Saint Victor
N) Fort Saint Nicolas
O) Fort Saint Jean.
 
1) Église Saint Laurent
2) Cathédrale de la Major
3) Église des Accoules
4) Église Saint Martin
5) Église Saint Ferréol
6) Église des Augustins
7) La Vieille Charité
8) Hôpital du Saint Esprit (Hôtel Dieu)
9) Couvent des Présentines
10) Couvent des Récollets
11) Couvent de la Visitation
12) Rue Belle-Table
13) Place du Palais
14) Rue de l'Échelle
15) Rue Jean Galant
16) Place des Prêcheurs
17) Rue de l'Oratoire
18) Rue des Grands-Carmes
19) Rue des Fabres
20) Cours Belsunce
21) Hôtel de ville
22) Place des Moulins
23) Place de Lenche
24) La Canebière
25) Rue Saint Ferréol
26) Rue Paradis
27) Place du Champ-Major (place Montyon)
28) Chantier de construction.

Pic de l'épidémie

Les mesures prises, telles que la combustion de soufre dans les maisons, sont peu efficaces.
L'épidémie de peste progresse dans la vieille ville.
Les gens aisés quittent Marseille pour se réfugier dans leurs bastides situées dans les environs.
 
Le corps des galères, à la demande du médecin des galères qui affirme qu'il s'agit bien de la peste, se retranche dans l'arsenal qui s'isole de la mer par une estacade faite de poutres flottantes.
 
Les personnes modestes créent un immense campement sur la plaine Saint-Michel (actuellement place Jean-Jaurès).
 
Le 31 juillet 1720 le parlement d'Aix fait interdiction aux Marseillais de sortir de leur terroir et aux habitants de la Provence de communiquer avec eux.
 
À partir du 9 août, il meurt plus de cent personnes par jour.
Les infirmeries ne peuvent plus recevoir les malades et les cadavres sont jetés dans les rues.  

À la mi-août des médecins, François Chicoyneau et Verny, de l'université de Montpellier, viennent à Marseille sur ordre du Régent, conseillé par son premier médecin Pierre Chirac. Émules de l'école de médecine de Salerne, leur diagnostic, s'opposant aux médecins marseillais à la formation scolastique, est évident :
C'est la peste....

Fin août tous les quartiers de Marseille seront touchés, y compris le quartier de Rive-Neuve séparé de la ville par le port et le vaste arsenal des galères.
Malgré les mesures prises par le chevalier Roze qui est alors capitaine de ce quartier, il a été impossible de couper toute communication avec la vieille ville contaminée d'où l’extension de la contagion. 

Il meurt déjà trois cents personnes par jour....  
  Des familles entières disparaissent, aucune rue de la vieille ville n'est épargnée...
 Les églises vont fermeer leurs portes les unes après les autres  
  Il va mourrir alors mille personnes par jour...

Mme Leprince de Beaumont, dans les Mémoires de madame la baronne de Batteville, décrit les conditions dramatiques dans lesquelles la population de Marseille dut vivre :
 
Les rues, les devants des portes étaient couverts de malades qui confondus avec les mourants, étaient abandonnés de tout le monde, les hôpitaux ne pouvant plus les contenir.
On y rencontrait peu de monde, personne n'osant paraître dans les rues sans un besoin absolu. (…)
Heureusement l'évêque de Marseille, accompagné de quelques ecclésiastiques, portait des secours spirituels et corporels à tous les malades sans distinction de rang.

De nombreuses réglementations sont mises en place par les diverses autorités locales et les parlements.
Afin d'harmoniser la réglementation, le Conseil d'État prend le 14 septembre 1720 un arrêt qui annule toutes les mesures prises, prononce le blocus de Marseille et règle la police maritime.  

Mais il est déjà trop tard !

Le bacille s'est répandu dans l'intérieur des terres et il faudra encore deux années de lutte pour éradiquer la peste du Languedoc et de la Provence
C'est le 22 septembre 1722 que la dernière quarantaine sera ordonnée en Avignon.  

Extension aux régions voisines

Marseille ne sera hélas pas la seule cité provençale touchée par l'épidémie qui atteindra également Arles, Aix-en-Provence et Toulon.
Les petites communes situées dans le voisinage de ces grandes villes sont également atteintes par la peste : Allauch, Cassis, Aubagne, etc.
Seule la commune de La Ciotat, protégée par ses murailles, sera épargnée par la peste. 

La peste sort de Marseille dès le 21 juillet 1720 en touchant Cassis, une vingtaine de km à l'est. Le 1er août elle est à Aix-en-Provence et à Apt, respectivement 30 et 80 km au nord.
Au 15 août on compte une dizaine de localités atteintes, certaines très éloignées comme Sainte-Tulle.
Fin août, elles sont une vingtaine dont Toulon. 

En septembre, la peste est proche de Digne.
Presque toutes les localités sur l'axe nord, de Marseille à Apt sont touchées.
La peste atteindra Apt, le 25 septembre et en octobre, la Durance est franchie à Pertuis...  

Quand Carpentras est atteinte le 24 octobre 1720, on y expose les reliques de saint Siffren et le Saint-Clou pour éloigner le fléau.
La peste semble s'arrêter à Avignon à l'ouest et à Toulon à l'est.  

Rourtant en novembre, elle est à Arles et Saint-Rémy-de-Provence et en décembre à Tarascon.
 
En janvier 1721, Toulon est touché à nouveau par le foyer de Bandol, entre Marseille et Toulon.  
  À l'ouest, on la signale déjà dans le Gevaudan... 

Dès mars 1721, pour limiter la propagation de la maladie que les restrictions de circulation ne parviennent pas à contenir, le royaume de France, les territoires pontificaux d'Avignon et du Comtat Venaissin décident de se protéger par une ligne sanitaire matérialisée par un mur de pierres sèches entre la Durance et le mont Ventoux, et gardé jour et nuit par les troupes françaises et papales empêchant tout passage.
Les habitants furent ainsi réquisitionnés pour son édification, le mur devait empêcher toute relation entre le Comtat Venaissin et le Dauphiné encore épargné.
 
  Mur de la peste dans le Vaucluse, édifié en 1720 pour isoler les régions atteintes.

L'apaisement

À partir du mois d'octobre 1720, la peste se met à reculer dans Marseille et les personnes atteintes guérissent plus facilement.
La mortalité journalière tombe à une vingtaine de personnes.
Cette baisse se poursuit au début de l'année 1721 avec une mortalité journalière de une ou deux personnes.
Les boutiques vont rouvrir, le travail reprend sur le port et la pêche est de nouveau pratiquée.  

Parmi les signes marquant ce renouveau de l'activité en 1721, on peut citer par exemple la reprise le 19 février des délibérations de la Chambre de commerce qui les avait interrompues depuis le 19 juillet 1720.
 
Le 20 juin 1721, Mgr de Belsunce organisera une grande procession à l'occasion de la fête du Sacré-Cœur malgré les réticences de Langeron qui craint un retour de la peste...
 
Après une pause de 2 mois, la peste reprend au printemps 1721, autour de Toulon et d'Arles, puis elle s'étend à la Camargue.
En été, elle frappe Avignon, Orange et tout le Comtat.  

En automne elle frappe le Languedoc et le Gévaudan à et autour de Mende, Uzès, Alès, Marvejols et Viviers avant d'être interrompue par l'hiver.
L'épidémie n'y fera que 5 500 victimes, ce qui représente tout de même 41 % de la population des régions touchées.
La Canourgue perdra 64 % de sa population et Marvejols 53% ! 

La ville de Beaucaire sera épargnée, probablement grâce à la sage précaution de supprimer la foire traditionnelle...
 
A Méthamis, le 21 septembre 1721, le bureau de santé ordonnait :
"Que ceux des habitants qui voudraient aller travailler à la vendange hors du terroir ne pouvaient aller qu'à Carpentras ou autres lieux plus proches ; qu’à leur retour ils apporteraient une attestation des personnes chez qui ils auraient travaillé et le nombre de jours qu’ils auraient travaillé chez chacun, au défaut de laquelle attestation ils ne seraient plus reçus dans le lieu."
 
D’une façon générale, en ce temps de vendanges, les raisins ne pouvaient attendre et de nombreux consuls ou bureaux de santé remirent aux vendangeurs de leur commune une carte marquée aux armes de la ville leur servant de laissez-passer.
 

La rechute de 1722

De nouveaux cas de peste vont apparaître en avril 1722 mais ne touchant que deux nouvelles paroisses près d'Avignon et d'Orange !  
  C'est la panique...
La peste semble même reprendre à Marseille, mais tout s'éteindra au cours de l'été.
 
À la demande de Mgr de Belsunce, les échevins font le 28 mai 1722 à la suite de cette rechute le vœu solennel d'aller entendre à chaque date anniversaire la messe au monastère de la Visitation et d'offrir "un cierge ou flambeau de cire blanche, du poids de quatre livres, orné de l'écusson de la ville pour le brûler ce jour-là devant le Saint-Sacrement".
 
Ce vœu du 28 mai 1722 ne cessera d'être accompli jusqu'à la Révolution.

À partir de 1877, la Chambre de commerce et d'industrie Marseille-Provence reprendra le vœu sans qu'il n'y ait plus eu d'interruption jusqu'à nos jours, se chargeant de l'organisation d'une cérémonie religieuse marquée par l'offrande d'un cierge tel que celui décrit en 1722.
La cérémonie a lieu dans l'église du Sacré-Cœur du Prado.

 
Dès le début du mois d'août 1722, l'épidémie est enfin enrayée à Marseille, il n'y aura plus ni malades ni décès causés par la peste.

Ailleurs, le dernier foyer provençal de peste se termine en Avignon le 2 octobre 1722, et celui du Languedoc à Chasserades le 25 décembre 1722.
 
Malgré les barrières naturelles que représentaient la Durance, le Rhône, le Verdon, le Var, l’Eygues et l'Orb, auxquelles s’ajouta le Mur de la Peste, on a pu calculer que l’épidémie se déplaçait de 45 kilomètres par mois, en zone peuplée, avec des différences allant de 35 à 50 km/mois.
Mais si le fléau atteindra plus tard les Préalpes et le Gévaudan, il ne dépassera pas Orange dans la vallée du Rhône et il s’arrêtera aux portes de Saint-Genest-de-Beauzon, près de Largentière.
 

Au total, l'épidémie aura fait entre 90 000 et 120 000 victimes environ (Marseille y compris) sur une population à l'époque de 400 000 personnes.

Causes de la propagation et type de peste

L'ignorance au XVIIIème siècle des causes et modes de propagation de la peste est responsable du peu d'efficacité de la médecine de l'époque et des mesures de précautions prises.
Le bacille responsable de la peste ne sera découvert par Alexandre Yersin qu'en 1894... 

D'après les descriptions de l'époque, il est possible d'affirmer que la peste de Marseille fut bubonique ou plus exactement bubo-septicémique.
En revanche la forme pulmonaire, transmissible par la seule respiration du malade, doit être écartée. 

Car si ce type de peste avait sévi, certains historiens pensent que la maladie aurait pu toucher l'ensemble du pays, et toute l'Europe, avec un nombre de morts considérable.
 
Les rats et les puces d'un animal sont généralement les vecteurs de la maladie.
Or, les descriptions de l'époque faites par des contemporains tels que le docteur Bertrand ou Pichatty de Croissainte ne font aucune mention de mortalité de rats.  

Le vecteur de transmission est cependant bien la puce, mais qui se transmet d'homme à homme ou par l'intermédiaire de leurs vêtements et des étoffes.
 
Certains pensent pourtant que le rat a joué un certain rôle dans la transmission de la maladie.
Mais à l'époque, seul le rat noir était présent en France et le comportement de ce rongeur est différent de celui du rat gris actuellement très répandu de nos jours.
Le rat noir malade irait mourir dans des lieux écartés, tandis que le rat gris va mourir dans les rues...  

D'un point de vue strictement entomologique, la puce impliquée (Xenopsylla cheopis) ne peut généralement pas résister à des températures inférieures à 22 °C.
Après la disparition des vecteurs principaux (rats puis humains les plus exposés), les conditions météorologiques et températures locales à Marseille ont pu être l'un des facteurs aggravants puis réducteurs de la propagation de la peste via les puces depuis fin mai 1720 jusqu'au mois d'octobre de la même année.
 
D'un point de vue météorologique, la moyenne historique des températures diurnes relevées à Marseille s'élève à 25 °C pour le mois de juin et 23 °C en septembre alors qu'en octobre, cette valeur tombe à une moyenne de 18 °C seulement.
En revanche, lors des pics de chaleur de juillet à août, ces valeurs moyennes s'élèvent à 26 °C à Marseille, ce qui favorise la reproduction et l'expansion des puces.
 
Les médecins sont impuissants devant cette épidémie dont ils ne connaissent que les symptômes apparents.
Les mesures préventives sont largement traditionnelles, voire superstitieuses...  

Certains médecins comme Chicoyeau, gendre de Pierre Chirac, premier médecin du Régent, estiment que la maladie n'est pas contagieuse !
Touchant les malades ou dissèquant les cadavres sans aucune précaution, il aura cependant la chance extraordinaire de ne pas avoir contracté la maladie. 

Les causes de la maladie étant inconnues, il en résulte une thérapeutique traditionnelle pour l'époque.
Transpiration, vomissement, purgation et bien sûr et surtout l'inévitable saignée qui n'a d’autre résultat que d'abréger les souffrances du malade...  

Quant aux pratiques chirurgicales, elles consistent à inciser les bubons lorsqu'ils arrivent à maturité.
 
Cependant tout n'est pas inutile.
Ainsi l'accoutrement des médecins avec leur tablier de cuir ou de toile cirée diminue les risques de piqûre des puces...
Les parfums utilisés pour désinfecter les habitations à base de soufre et d’arsenic peuvent avoir un impact sur la destruction des puces. 

En revanche le fameux vinaigre des quatre voleurs n'a jamais eu aucun effet...
L’origine de cette potion vient de quatre voleurs sont arrêtés alors qu'ils détroussaient les pestiférés au cours de l'épidémie de Toulouse en 1628-1631.
Afin d'avoir la vie sauve, ils révèlent le secret de la composition d'un remède qui leur permettrait de se préserver de la contagion.
 
La préparation se faisait à partir d'absinthe, sauge, menthe, romarin, rue, lavande, cannelle, girofle et ail.
Malgré la révélation de ce secret les voleurs auraient tout de même été pendus...  

Ce vinaigre "antiseptique" connut des heures de gloire et ne disparut du Codex qu’en 1884.

 

hôtel de ville de Marseille pendant la peste de 1720
Tableau de Michel Serre, Musée des Beaux-Arts de Marseille

Organisation des secours

Dans le désarroi général, peu de responsables demeurent à leur poste...
 
Sous l’autorité du viguier, Louis-Alphonse Fortia, marquis de Pilles, les échevins de l’année, Jean-Pierre de Moustiès et Balthazar Dieudé, et ceux de l’année précédente, Jean-Baptiste Estelle et Jean-Baptiste Audimar, se dépensent sans compter et font preuve d’un grand courage.
 
Par contre peu de leurs collaborateurs demeurent en fonction à l'exception de Capus, archivaire secrétaire général de l’hôtel de ville, et Pichatty de Croissainte, procureur du roi.
 
Restent également à leur poste, Jean-Pierre Rigord, subdélégué de l'intendant de Provence, et Jean-Jacques de Gérin, lieutenant de l'amirauté.
 
Un chef d'escadre, Charles-Claude Andrault de Langeron, arrive à Marseille le 4 septembre 1720 revêtu de pouvoirs extraordinaires.
Sont placés sous ses ordres tous les fonctionnaires, y compris le viguier et les échevins.
 
D'autres civils apportent leur aide : le peintre Michel Serre ou le docteur Bertrand, qui laissent chacun un témoignage très intéressant sur ce qu'ils ont vu sous la forme de tableaux représentant des scènes de cette épidémie pour l'un et d'un mémoire intitulé Relation historique de la peste de Marseille en 1720 pour l'autre.
 
Cardin Lebret collectionne les titres et les fonctions puisqu'il est à la fois intendant de Provence et président du parlement de Provence.
Élevé à l'école des grands fonctionnaires qui s'étaient directement inspirés des méthodes de Colbert et de Louvois, il aime avant tout l'ordre.
Il est le représentant du roi en Provence et par son activité et sa compétence encourage et stimule les échevins.
Mais il ne combat la peste que de loin et réside suivant l’évolution des zones contaminées à Aix-en-Provence, puis Saint-Rémy-de-Provence et Barbentane.
C’est dans cette dernière ville qu’il accueille le 21 mars 1721 un groupe de vingt-et-un apprentis chirurgiens et médecins venus de Paris apporter leur aide.
Parmi ces volontaires figure Jacques Daviel, qui deviendra maître chirurgien et oculiste du roi.
De même, le parlement de Provence suit de loin l’évolution de l’épidémie et devant la propagation se retire à Saint-Rémy de Provence puis à Saint-Michel de Frigolet.
 
Sous la direction des échevins l’administration municipale va assurer une triple tâche : le ravitaillement des populations, le maintien de l’ordre et surtout l’enlèvement des cadavres.
 
Les achats de blé sont effectués auprès des particuliers, des consuls de la province et de l’intendant du Languedoc.
Le viguier et les échevins sont investis avec l’accord de l’intendant Lebret de pouvoirs extraordinaires et les délits sont réprimés avec sévérité.
L’enlèvement des cadavres est la tâche la plus angoissante à cause du manque de main d’œuvre et des risques de contagion.
 
Ce tableau de Dominique Antoine Magaud peint en 1864 montre une réunion de travail des principales personnes chargées de l'administration de la ville.
 
Les personnages représentés sont :
  le chevalier Roze debout montrant de son bras gauche Mgr de Belsunce en arrière-plan
  autour de la table se trouvent les échevins Estelle, Dieudé, Audimar qui tourne le dos, et Moustier
  à la droite du chevalier Roze est représenté le commandant de Langeron s'appuyant sur son coude et semblant plongé dans une profonde méditation.
   En arrière-plan et à gauche se distinguent le peintre Michel Serre, le père Milley et un capucin.
 
Le Courage civil : la peste de 1720 à Marseille
Tableau de Dominique Antoine Magaude Magaud
Musée des Beaux-Arts de Marseille

Évacuation des cadavres

Dès le début du mois d'août 1720 les caveaux des églises ou les cimetières ne sont plus autorisés à recevoir les corps des pestiférés qui doivent être emmenés aux infirmeries par les corbeaux (croque-morts).
À partir du 8 août l'ouverture de fosses communes s'impose.
Une compagnie de grenadiers enlève de force des paysans dans les campagnes pour creuser à l'extérieur des remparts une quinzaine de fosses.
 
Le 9 août, les civières ne suffisent plus et apparaissent les premiers tombereaux pour l'enlèvement des cadavres.
 
À la mi-août, les infirmeries ne peuvent plus recevoir les malades ou les morts, les cadavres sont laissés dans les rues.
Les chariots viennent à manquer et les échevins font prendre d'autorité des attelages dans les campagnes.  

Les tombereaux ne pouvant circuler dans les rues étroites du quartier Saint-Jean de la vieille ville, des civières sont confectionnées pour apporter les cadavres jusqu'aux chariots.
Pour conduire les chariots et enlever les cadavres, il est alors fait appel aux forçats de l'arsenal des galères, choisis parmi les plus médiocres rameurs.
Mais cette main d'œuvre pour le moins indisciplinée nécessite une surveillance étroite.
L’échevin Moustier en personne, précédé et suivi de quatre soldats baïonnette au canon, conduira lui-même chaque jour un détachement de forçats.  

Si les échevins arrivent à nettoyer la ville d'une grande partie des cadavres, le quartier de la Tourette n'est pas dégagé.
Ce quartier habité par des familles de marins et situé à proximité de l'église Saint-Laurent a été totalement ravagé par la peste.  

Seul le chevalier Roze qui s'est distingué dans le nettoiement du quartier de Rive-Neuve, accepte la mission de débarrasser de ses cadavres le quartier de la Tourette.
À la tête d'un détachement de cent forçats, il fait jeter dans deux vieux bastions un millier de cadavres qui sont recouverts de chaux vive.
C’est l’épisode le plus célèbre de cette lutte contre la peste.
Parmi ces cent forçats, cinq seulement survécurent...

Avis au public de 1720 concernant l'enlèvement des cadavres morts de la peste.
 
Tout au long du XIXème siècle plusieurs anciennes fosses communes ont été découvertes au cours de divers travaux d'aménagement.
Ces charniers n'ont jamais été jugés dignes d'intérêt archéologique et les restes humains ont été réinhumés ou mis en décharge... 

C’est pour lutter contre cette destruction régulière d'archive qu'a été entreprise en 1994 une fouille d'une fosse commune découverte à l'angle des rues Jean-François-Leca et de l'Observance.
 
Cette fosse se trouvait dans les anciens jardins du couvent de l'Observance situé en contrebas de la Vieille Charité.
Ce couvent appartenait aux frères mineurs de l'étroite observance, appelés ainsi parce qu'ils observaient à la lettre la règle de saint François.
Il fut utilisé comme hôpital lors de l'épidémie de peste et fut ensuite vendu comme bien national à la Révolution. 

Près de deux cents squelettes ont été exhumés entre août et septembre 1994 et ont fait l'objet d'études anthropologique et biologique.
Les archéologues ont constaté que la fosse a été inégalement remplie.  

Trois zones apparaissent :
  à l'est une zone à forte densité avec empilement des corps,
  au centre une zone à faible densité avec individualisation des inhumations
  à l'ouest une zone à densité presque nulle.
 
Cette variation traduit les phases successives de l'épidémie qui va en décroissance rapide.
Ce nombre relativement faible des inhumations pousse les archéologues à estimer qu'il s'agit d'une fosse qui aurait fonctionné au cours de la deuxième période de l'épidémie, soit de mai à juillet 1722.
 
Le décès par peste des individus inhumés dans ce charnier ne fait aucun doute puisque l'ADN du bacille de la peste a été mis en évidence.
Les corps étaient systématiquement recouverts de chaux vive.
À l'exception d'un corps possédant une boucle de ceinture, il n'y a aucun élément de parure.
Des fragments de draps démontrent que les cadavres ont été enterrés nus dans des linceuls. 

Une épingle en bronze plantée dans la première phalange du gros orteil a souvent été trouvée !
Il s'agissait pourtant d'une pratique habituelle à cette époque pour vérifier la mort effective de l'individu... 

Une nouvelle étude de l'Institut Max Planck en 2016 a révèlé que cette épidémie de peste "marseillaise" ne serait peut être pas venue du Moyen-Orient comme on le pensait, mais que c'était plutôt une résurgence de la grande peste noire ayant dévasté l’Europe au XIVème siècle.
 
Le bacille Yersinia pestis apporté par le navire Grand-Saint-Antoine, à l’origine de l’épidémie de peste qui a ravagé la Provence entre 1720 et 1722, serait donc resté latent quatre siècles...
 
Cette étude suggère ainsi l'existence probable d'un foyer permanent de peste des rongeurs en Europe centrale et de l'est (foyer aujourd'hui disparu) en lien avec ceux du Caucase.
 
Il existe en effet deux grandes théories sur le déroulement de la deuxième pandémie de peste en Europe (du XIVème au XVIIIème siècle) :
l'une qui l'explique par des apports répétés d'Asie centrale, l'autre par la persistance de foyers européens ou caucasiens.  

Les responsables de l'épidémie et les intervenants

Durant cette épidémie plusieurs personnes interviennent pour apporter une aide matérielle ou morale à la population particulièrement éprouvée.
Les diverses responsabilités relatives à la propagation de la peste sont cependant difficiles à établir avec précision et impartialité. 

Personnalités civiles

Le Grand-Saint-Antoine aurait dû effectuer sa quarantaine à l'île de Jarre conformément à une instruction de 1716 et n'aurait jamais dû débarquer directement ses marchandises aux infirmeries car le navire a connu plusieurs décès à bord durant son retour vers Marseille.
 
Pourquoi la réglementation n'a-t-elle pas été respectée et quelles sont les diverses responsabilités ?

À l'époque, la première personne mise en cause est le capitaine Chataud.
Il sait très probablement que la peste est à bord de son navire mais il fait une déclaration conforme à la réglementation, sans cacher les décès survenus durant la traversée.
Il est cependant écroué le 8 septembre 1720 au château d'If et ne sera libéré que le 1er septembre 1723, bien que sa non-culpabilité ait été admise depuis longtemps. 

Le deuxième personnage qui fait l'objet de nombreuses controverses est le premier échevin de la ville de Marseille, Jean-Baptiste Estelle, qui est propriétaire d'une partie de la précieuse cargaison.
Cette marchandise dont la valeur est estimée entre 300 et 400 000 livres appartient pour les deux tiers à un grand nombre de petits propriétaires, le reste, soit le tiers de la valeur, se répartissant à parts égales entre quatre propriétaires dont Estelle.
 
Le premier échevin est donc propriétaire d'une marchandise d'une valeur d'environ 25 000 livres, somme certes élevée mais non considérable pour un négociant de cette importance.
Estelle est tout d'abord soupçonné de trafic d'influence auprès des intendants de la santé aussi bien pour son propre compte que pour les autres négociants.
Grâce au soutien de l'intendant Lebret, il sera reconnu innocent par le roi en 1722 qui lui octroie des lettres de noblesse et lui accorde une rente annuelle de 6 000 livres.
Estelle ne bénéficiera pas longtemps d'une telle faveur car il décèdera peu après le 16 janvier 1723 à l’âge de 61 ans.
 
 
Mgr de Belsunce consacrant la ville de Marseille au Sacré-Cœur de Jésus. Le vœu des échevins
Vitraux de la basilique du Sacré-Cœur.
 
La responsabilité éventuelle de certaines personnes dans l'origine de l'épidémie ne doit pas cependant faire oublier le grand dévouement des échevins et celui de leurs collaborateurs.
 
Les intendants sanitaires ont probablement une lourde responsabilité.  
  En effet, ils sont juges et parties...

Non indépendants par rapport aux négociants et au pouvoir municipal, ils se sont probablement laissés fléchir pour adopter des règles moins rigoureuses pour la mise en quarantaine des marchandises du Grand-Saint-Antoine.
 
De plus, le manque de discipline au sein des infirmeries a entraîné une sortie en fraude de tissus contaminés provenant notamment de diverses pacotilles appartenant à l'équipage.
Ce sont très probablement ces tissus sortis en fraude des infirmeries qui ont propagé la peste.
 
Parmi les personnalités civiles, la figure qui se détache le plus est celle du chevalier Roze qui, nommé capitaine du quartier de Rive-Neuve, organise le ravitaillement et engage tous ses biens pour trouver du blé.
L'épisode du nettoiement du quartier de la Tourette est le plus célèbre.  
  Mais la modestie du chevalier Roze l’empêchera de faire valoir ses mérites.

Enfin parmi les personnalités civiles il ne faut pas oublier les médecins qui, malgré une science balbutiante à l'époque, se sont sacrifiés.
Le nom du docteur Peyssonnel doit être rappelé mais il faut aussi se souvenir que vingt-cinq chirurgiens sur trente moururent.
De même une centaine d'adolescents servirent comme infirmiers et succombèrent en grand nombre. 

Ecclésiastiques

La personnalité religieuse la plus connue est l’évêque de Marseille, Mgr de Belsunce, qui se signala notamment par son zèle et son dévouement à secourir les malades.
Face à cette épidémie sans précédent, il décide de rendre visite aux malades en leur administrant les derniers sacrements.
On le vit aussi distribuer d'abondantes aumônes afin de soulager ses ouailles.
 
Sur les conseils de la visitandine Anne-Madeleine Rémusat, il décide le 1er novembre 1720 de consacrer la ville au Sacré-Cœur de Jésus au cours d'une cérémonie expiatoire sur le cours qui porte aujourd'hui son nom.
L'évêque célèbre la messe tête nue, pieds nus et un flambeau à la main.
 
Le 31 décembre 1720, il organise une procession générale sur les fosses communes situées pour la plupart à l'extérieur des remparts.  
  La bénédiction est donnée à chacune de ces fosses.
Afin d'apporter une aide matérielle aux malades, il aliène une grande partie de son patrimoine...
 
Sur plus de deux cent cinquante religieux, un cinquième d'entre eux, comme le père jésuite Millet succombent à l'épidémie en soignant et portant secours aux pestiférés.
 
Ces attitudes courageuses ne sont pas généralisées...
Ainsi les moines de l'abbaye Saint-Victor se renferment derrière les murailles de leur monastère et se contentent d'envoyer quelques aumônes.
De même, les chanoines de l'église Saint-Martin, qui sera démolie au XIXème siècle pour la réalisation de la rue Colbert, se réfugièrent à la campagne. 

Bilan et conséquences économiques

Il y eut 126 000 morts en Provence, Comtat et Languedoc.
En Provence, 81 communautés furent atteintes et sur une population de 293 113 habitants, il y eut 105 417 morts (36 %).
Dans le Comtat, 6 communautés, soit 36 641 habitants et 8 062 morts (22 %).
En Languedoc, 84 communautés, soit 12 597 morts pour 75 377 habitants (16,7 %).  

La ville de Marseille, la première touchée, comptait avant la peste, au début de 1720, environ 90 000 habitants.
Le nombre de décès provoqués par cette épidémie varie suivant les estimations.
Il se situerait entre 30 000 et 35 000 morts pour certains, tandis que d'autres retiennent le chiffre de 40 000 pour la ville et 50 000 pour la ville et son terroir réunis. 

Cette perte de population est rapidement compensée en trois ou quatre ans seulement ! Un tel phénomène s'explique par la chute de la mortalité et une poussée importante de la natalité liée à une multiplication de mariages mais aussi et surtout par une immigration en provenance des régions proches (actuel département des Alpes-de-Haute-Provence) ou lointaines.
 
Pour l’économie le coup d’arrêt est brutal car le port est fermé trente mois et les fabriques arrêtées.
Mais les conséquences dues uniquement à la peste sont difficilement identifiables car elles s'enchevêtrent avec celles provoquées par l'effondrement du système de Law.
Il est cependant évident que la paralysie du port a eu des répercussions multiples sur l'économie.
À cela s'ajoute une méfiance des ports envers celui de Marseille qui ne prend fin qu'en 1724, bien après la fin de l'épidémie en 1722...  

Bibliographie


  Jean Noël Biraben, Les Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens
  Marion Carnévalé-Mauzan, Les Purifications des lettres en France et à Malte
  Daniel Panzac, Quarantaines et lazarets : l’Europe et la peste d'Orient, XVIIème – XXème siècle
  Collectif, La Muraille de la Peste, Éd. Pierre sèche en Vaucluse
  Dr Jean-Baptiste Bertrand, Relation historique de la peste de Marseille en
  Régis Bertrand, Le Christ des Marseillais
Certaines données sont inspirées d'articles de  1  2  3 4

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