Croix de Toulouse, des marquis de Provence, de Venasque, ou "de chez nous" ?

La croix dite "de Toulouse" est aujourd’hui le symbole de la région Midi-Pyrénées, du Languedoc et de Toulouse, … 
On lui attribue cinq principale significations symboliques :
Les 12 boules sont soit   les 12 Apôtres
   les 12 mois
   les 12 portes
   les 12 marches permettant d'atteindre la Connaissance suprême
   les 12 signes du zodiaque
et les trois boules de chaque branche représentent la Trinité…  
C’est un symbole culturel fort, montrant l’attachement millénaire des gens du Sud à leur société méridionale...  
    Maintenant, il nous faut rappeler quelques faits historiques.

Croix des marquis de Provence ?

En 948, Boson II de Provence, Comte d'Arles, porte le blason de Boson Ier Roi (usurpateur ?) de Provence.
Il a deux fils Guilhem (dit le Libérateur) qui lui succède en 968 et Rotbald. 

La capture de Saint Mayeul, originaire d’Apt et célèbre Abbé de Cluny, par les Sarrasins (972) et sa libération contre rançon, provoqua une mobilisation générale afin de se débarrasser définitivement de ce fléau.
 
Guilhem le Libérateur et son frère Rotbald, auréolés de la gloire de leurs victoires deviennent les maîtres incontestés de la Provence,
adoptent l'emblème de leur père et prennent le titre en indivision de Marquis de Provence en 973, c’est-à-dire de chef militaire de la Marche de Provence, qui s’étendait alors de l’Isère à la Méditerranée. 

Guilhem, également comte à Arles, fut le fondateur avec Saint Mayeul du village de Sarrians.
On sait qu’il y fonda en 992 un monastère de l’Ordre de Saint Benoît. 
Lorsqu’il meurt, en 993, il se fait inhumer dans le prieuré de Sarrians.
Ses héritiers y firent élever une chapelle de la Sainte Croix qui abritait certainement un reliquaire renfermant un morceau de la vraie croix.
On y a trouvé une dalle funéraire portant une croix semblable à celle qui nous intéresse... 

 

 

Croix de Venasque ?

Rotbald, frère de Guilhem, marquis de Provence et comte à Avignon, eut une fille, Emme ou Emma de Provence, dite " de Venasque ", qui épousa, vers l’an 990, Guillaume III Taillefer, comte de St Gilles.
 
Par ce mariage, Emma apporta en dot une partie du marquisat de Provence dont les terres du futur Venaissin et sûrement son emblème, la croix de Venasque,
qui était probablement (mais rien n'est moins sûr) celle de son père et de son oncle, les marquis de Provence. 
Geoffroy, petit-fils de Guilhem, mort vers 1063, fit sculpter sur sa pierre tombale une croix tressée, élargie aux extrémités et cantonnée de quatre fleurs.
Emma de Venasque était contemporaine de ce Geoffroy. 

La Maison de Venasque, à deux pas de Sarrians, porte ces armes depuis bien longtemps...
La description de l'an 1043 précise qu'elle était d'azur sur champ d'or.
Le sceau de la famille de Venasque, de 1094, représente cette croix avec toutes ses caractéristiques.  
Elle décore le tombeau de Geoffroy de Venasque à l'abbaye de Sénanque.
Une autre pierre tombale, celle de François de Thézan, est conservée au baptistère.
On sait qu'un membre de cette famille épousa la dernière héritière de la famille de Venasque. 

Marquisat de Provence en 1125 
 

 

Croix de Gigondas ?

Les armoiries de Gigondas, village tout prêt de Sarrians, portait la même croix, d'argent sur fond d'azur, aussi depuis le XIIème siècle, au moins.
Gigondas Forcalquier Adhémar de la Garde
 Nombreux sont les grands seigneurs de notre région, vassaux des marquis de Provence, qui adoptèrent pour emblème une croix du même type (celle de leurs suzerains ?)

Croix de Forcalquier ?

En 1168 apparaît la croix de Bertrand II de Forcalquier. 
Sceau de Guillaume III de Forcalquier
 
Sceau du comte de Forcalquier en 1230 
 
Toujours au XIIème siècle, celle des Adhémar de la Garde (Paréol) (voir ci dessus) et celle des vicomtes de Marseille. 
On le voit, la croix grecque, pattée, cléchée, vuidée et pommetée a pour origine le Marquisat de Provence (qui deviendra Comtat Venaissin).

 Elle est grecque car les branches sont de même longueur
 Elle est pattée (ou atésée) car ces branches s'élargissent du centre vers l'extérieur
 Elle est cléchée car les extrémités se referment en formant une pointe saillante
 Elle est vuidiée car évidée de manière pour faire apparaître à l'intérieur une croix plus petite
 Elle est pommetée car les points saillants sont couronnés de boules {trois par branche).

Croix de Saint Gilles ?

Taillefer, comte de Saint Gilles, marquis de Provence par Emma, vécut le plus souvent sur les bords du Rhône.
A sa mort en 1037, il fut inhumé dans un sarcophage dont la cuve de pierre prend appui sur trois paires de colonnettes aux chapiteaux sculptés de la croix "plutôt pattée que cléchée". 

Lorsque Raymond IV de Saint Gilles, petit-fils de Taillefer, dota en fiefs l’abbaye de St André d’Avignon, le sceau comtal qu’il utilise représente une croix "cléchée, vidée et pommetée" qui deviendra l’emblème du Languedoc.
C'est en sa qualité de marquis de Provence qu'il utilise ce sceau.
Lorsqu’il prend la tête de la croisade, en octobre 1096, la "croix de gueules d’or, cléchée, vidée et pommetée sur fond pourpre" sert probablement de bannière au ralliement des Provençaux mais cela n'est pas prouvé...
Est-ce que Raymond IV de Saint Gilles, mort en 1105, fut le premier des comtes à arborer cette croix particulière ?
Et les nombreux seigneurs du marquisat qui l’accompagnèrent dessinèrent-ils sur leur écu, ce "double faisceau de six lances entrecroisées définissant douze extrémités organisées en croix à branches égales" ?
Portèrent-ils très haut cet emblème "écarlate à la croix d’or à douze boules" lors des prises des grandes villes d’Orient, Antioche ou Jérusalem ?
 
On peut imaginer que ce fut le signe de ralliement des Provençaux et des Languedociens...

Croix de Toulouse ?

Alfonse-Jourdain et Raymond V de Toulouse, successeurs de Raymond IV de Saint Gilles, utilisèrent peu cette croix...
 
Bulle de Raymond V, attestée en 1171, pour le Marquisat de Provence. 

 
Il faut attendre Raymond VI, en 1194 et 1222, pour voir re-apparaître cette " croix grecque à branches égales , cléchée et pommetée d’or dont les extrémités des branches sont triplement bouletées et perlées ", qui restera l’emblème des comtes de Toulouse.
 
Son sceau, utilisé dans les actes du Marquisat porte cette croix avec le mot "Venaissini" (1222). 

Pour les comtes de Toulouse, cette croix fut l’emblème de leur titre de marquis de Provence.    
   Elle deviendra emblème du Languedoc...

 
Sceau de Jeanne Plantagenêt, épouse de Raymond VI de 1196 à 1199.
Marquise de Provence, elle porte la croix sur son bras (agrandissement).

 

Croix des cathares ?

Il faut préciser que cette appelation est totalement fausse et cela pour plusieurs raisons évidentes.
Tout d'abord comment des personnes qui se considéraient commes les seul vrais croyant ( face à une église catholique corrompue à leurs yeux) auraient pu vénérer un instrument de torture ?
Ensuite, il n'existe à ce jour aucune preuve que ce symbole eût été utilisé par les Cathares... 
Enfin même si certains chevaliers faydits ont pu arborer ce symbole étant des vassaux des comtes de Toulouse, aucun ne se revendiquait vraiment comme croyant cathare !

D'autres origines possibles de cette croix ?

A Venasque, la pierre tombale ou dalle funéraire de l'évêque Bohétius (583-604) fut exhumée au XVIème siècle.
Elle présente des similitudes, avec la croix de Venasque connue six ou sept siècles plus tard "croix pattée et rosaces"
Cette dalle est visible à Notre-Dame de Vie (Venasque) 
A Toulouse, on trouve des origines bien plus lointaines à cette croix...
Un autel gallo-romain du IVème siècle, à Garin en Haute-Garonne porte une croix à douze extrémités.
Au Vème siècle, une monnaie frappée par les rois wisigoths, alors maîtres de l’Aquitaine, porte une croix cléchée, elle aussi à douze extrémités .

Il y a plus longtemps encore, la croix copte à 12 boules de Saint-Maurice existait au IVème siècle et était utilisée par l’église copte d’Alexandrie et par le Grand Patriarcat de Constantinople.
Saint Maurice, qui fut honoré par les Burgondes chrétiens dont dépendait la Provence, est le patron du village de Caromb.
 
 Croix copte Croix de Constantinople
  On sait aussi qu’une telle croix, dite "nestorienne" existait dans le Turkestan chinois vers l’an 450.
ou en Catalogne au XIIème ou XIIIème siècle  
 
Et puis, on se demande si cette croix de Toulouse vient d’Emma de Venasque ou bien si les Venasque portent cette croix parce qu’Emma a épousé "leur" comte Taillefer, de Saint Gilles au bord du Rhône…
Qui le sait vraiment ?
Sources

 

Sources

Bibliographie non exhaustive :

   M BOISSON DE LA SALLE : Essai sur l'histoire des comtes de Provence, 1820
   E. DAVIN : Petite histoire de la Provence, 1942
   P. AUDIBERT : Histoire des comtes de Provence, Roi de Sicile e de Jérusalem, 1969
   A. TARTANSON : Istòri Nostro, 1986
   R. JODAR-GALINDO : Histoire généalogique des princes d'Orange : avec les comtes de Provence et les rois d'Arles, 1993
   F BARILLON : Sainte-Jalle, une autre histoire de la Provence, 1998
   P. G. RUFINO : Les comtes de Toulouse, des croisades aux Cathares, 2001
 

 
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